Villandry à travers les siècles

Entre abandon et faste, le destin incertain de Villandry au XIXe siècle

A l’image des turbulences politiques qui ont animé le XIXe siècle, l’histoire de Villandry est marquée d’une alternance de périodes troubles et somptueuses. Le château est menacé à plusieurs reprises de n’être plus que ruines, tandis que les jardins à la française deviennent un parc romantique. Construit sous une bonne étoile, aux instants les plus critiques, Villandry rencontrera toujours un propriétaire providentiel.
Le château de Villandry, propriété de la famille Hainguerlot

Villandry au XIXe siècle

L’histoire de Villandry au XIXe siècle aurait pu être le cadre d’un roman d’Honoré de Balzac, oscillant entre ascension sociale spectaculaire et espoirs déchus. 

La fin du XVIIIe siècle et les premières années du XIXe siècle sont une période mouvementée pour Villandry

Après avoir appartenu à la famille de Castellane pendant une quarantaine d’années, le château de Villandry et ses terres sont vendus en 1791 à François Chénais, négociant fortuné. Mais rapidement, l’investissement financier que représente l’entretien des lieux se révèle être un gouffre ; François Chénais est contraint à la revente. Acculé par les dettes, il cède le 27 pluviose de l’IX (16 février 1801) le domaine au tiers de sa valeur à Gabriel-Julien Ouvrard, financier et spéculateur, acquéreur de nombreux châteaux en Val de Loire, dont Azay-le-Rideau. Dès le 2 Germinal de l’an XI (23 mars 1803), le nouveau propriétaire, impliqué dans des activités peu licites, doit se défaire de certain de ses biens dont Villandry qui tombe aux mains de Marc-Antoine-Grégoire Michel, aussi dit Michel Jeune, financier talentueux, auréolé de succès, tout aussi peu scrupuleux que son prédécesseur.

A la fin de septembre 1813, Jérôme Bonaparte, jeune frère de Napoléon Ier, entreprend l’acquisition du château de Villandry et du château de Stains. Il semble motivé par une volonté de s’éloigner de son impérial aîné qui s’apprête à connaître des instants sombres. L’affaire est conclue par le biais d’un prête-nom, un certain M. César-Joseph Idlinger. Le 6 novembre 1813, pour la somme de 775.000 francs, la vente des « terre et domaines de Villandry, Savonnières, Grand Foncher, les Chapitrières, et dépendances, plus tous les meubles meublants et autres effets mobiliers étant dans le château » est actée. L’année suivante, Napoléon Ier abdique ; la famille impériale est contrainte à l’exil. Jérôme Bonaparte et son épouse, Catherine Wurtemberg, souhaitent s’établir en Italie. Ils concluent par le biais d’Antoine-André Brugière, baron de Sorsum, chef de cabinet du Prince Jérôme, et de Jean-Jacques Foignet, prête-nom de Pierre-Laurent Hainguerlot, un échange : le domaine de Villandry et le château de Stains contre des biens situés à Farnetta, dans la principauté de Lucques et à Massa-e-Carrara. L’accord est signé le 21 décembre 1814. Mais l’affaire prend une toute autre tournure lorsque le couple Bonaparte découvre qu’une partie des propriétés italiennes est sous séquestre et qu’ils ne peuvent par conséquent pas en prendre possession. Jérôme décide d’intenter un procès mais l’utilisation de prête-noms complexifie l’affaire qui se transforme en un imbroglio juridique qui durera 9 ans. C’est seulement en 1823 que les oppositions sont finalement levées ; Villandry, château et terres, entrent ainsi officiellement dans le patrimoine de Pierre-Laurent Hainguerlot.

Bien que Jérôme Bonaparte n’ait que très peu profité de Villandry, il a laissé quelques témoignages de son passage notamment à travers des pièces de mobilier dont un étonnant guéridon attribué au célèbre atelier d’ébénisterie Jacob-Desmalter orné de médaillons de porcelaine de Sèvres sur le thème des arts.

1814-1897 : retour à la stabilité et au faste grâce à la famille Hainguerlot

Lorsque Pierre Laurent Hainguerlot (1767-1841) investit Villandry, peut-être dès 1819, le château et le parc souffrent d’un manque d’entretien. Dans une lettre au préfet du département d’Indre-et-Loire datée du 15 avril 1822, il écrit : « depuis trois années, il [n’y a] à Villandry que des outils de maçonnerie pour y relever des ruines un monument que j’ai conservé à la Touraine ». Le château est réparé et conserve son aspect bien qu’un projet de transformation dont les archives ont conservé la trace ait été commandé.

A compter de 1841, Georges-Tom Hainguerlot (1795-1868), fils de Pierre-Laurent, fait baron par Charles X, époux de Stéphanie Oudinot (1808-1893), fille du maréchal d’Empire, Nicolas Charles Oudinot, est à la tête de Villandry. C’est une période faste pour le domaine. La famille Hainguerlot réside à Paris et s’installe à Villandry pour de longs séjours synonymes de parties de chasse et de fêtes somptueuses réputées dans la haute société et rapportées dans la Presse nationale.

« M. et Mme Hainguerlot, accompagnés de quelques-uns des membres de la famille Blount, se sont installés à leur château de Villandry, une des résidences de l’Indre-et-Loire rendues le plus populaires par la gravure et la photographie. Leur présence, signal de réceptions et de chasses, jette une grande et bienfaisante animation dans ce coin de la Touraine. » (La Liberté, « Tablettes parisiennes », 27 novembre 1869)

Villandry est déjà au XIXe siècle un château renommé en Touraine, que les voyageurs souhaitent visiter et dont ils ont laissé de charmants témoignages.
Dans une nouvelle écrite par Eugénie Foa, publiée dans le magazine jeunesse « Le Journal des Enfants » publiée dans le deuxième quart du XIXe siècle, on peut lire cette courte évocation des jardins de Villandry :
« […] je ne suis jamais allée à Villandry, et pourtant on dit que le château est si beau à voir que je voudrais bien le visiter […]
[…] Le lendemain, par un beau soleil d’hiver, [ils] partirent pour visiter Villandry. Le château n’avait pas alors un des plus beaux atours de sa parure ; ses arbres dépouillés n’offraient pas aux promeneurs ces longues allées ombreuses qui le rendent un des plus délicieux châteaux de la Touraine. […] On avait comme dédommagement les terrasses, d’où l’on jouit d’une vue délicieuse et qui, ce jour-là, servaient de promenade à plusieurs visiteurs. »
Journal des enfants, rééd. 1856, p. 180

Georges-Tom Hainguerlot est surement à l’origine de la révolution stylistique appliquée au jardin à la française du marquis de Castellane. Au XIXe siècle, le style « à la française », jugé daté, est délaissé au profit du style « à l’anglaise » qui se caractérise par des courbes, des vallonnements, des pelouses et une végétation libre de se développer ; en outre, entretenir un parc paysager est beaucoup moins dispendieux. L’aménagement du parc paysager semble avoir été confié à André Leroy, pépiniériste et paysagiste angevin actif dans l’ouest de la France à partir des années 1840. Georges-Tom Hainguerlot s’investit également dans la vie du village dont il est maire pendant plusieurs années. Son épouse, Stéphanie Oudinot, contribue à la sauvegarde de l’église médiévale et la fait doter d’un orgue de tribune. Le couple a trois enfants : Edouard, Charles Arthur et Alfred. Seul le cadet est un régulier à Villandry, ses frères préférant la vie parisienne. Pourtant au lendemain de la cuisante défaite française contre l’armée prussienne, c’est Edouard qui reçoit à Villandry l’empereur Frédéric II lors de sa visite de Villandry au printemps 1871 .

Après le décès de Stéphanie Oudinot, le domaine revient par adjudication au benjamin de la fratrie, Alfred Hainguerlot en 1894 .

Quatre années plus tard, en 1898 , Villandry est mis en vente. Le domaine est racheté le 30 décembre 1900 par François-Pierre Le Roux qui sauve le château d’un premier démantèlement. Physicien et pharmacien, ce scientifique envisage de profiter des chutes d’eau pour installer une usine de fabrication de produits pharmaceutiques mais le projet doit être abandonné, le domaine est à nouveau mis en vente. A nouveau, le château et le parc montrent des signes alarmants d’abandon et peu s’en faut pour que le château ne soit converti en carrière de pierre. Il est sauvé in extremis par l’achat de Joachim Carvallo et Ann Coleman séduits par les lieux dès leur première visite.

Le carnet mondain offre une très belle description de Villandry en 1883

C’est fête aujourd’hui au castel de Villandry, l’une des plus pittoresques demeures seigneuriales du beau pays de Touraine. M. le baron de Nexon, capitaine de dragons épouse Mlle Hainguerlot […]
Situées sur les bords du Cher, à quelques mètres seulement du point où le Cher se jette dans la Loire, les constructions de Villandry rappellent, par leur rare élégance, les plus brillantes époques de la Renaissance.
Coïncidence bizarre elles furent élevées par un argentier du roi, dans le temps même où le banquier Hainguerlot, premier du nom, eut l’honneur d’avancer des sommes considérables à son roi, François Ier pour la rançon du vaincu de Pavie. La finance a aussi ses ancêtres.
Adossé à la colline, le château de Villandry semble faire « corps » avec elle, tant la succession de ses balustres et de ses terrasses s’harmonise heureusement avec la pente naturelle du coteau. Des eaux vives s’écoulant d’un puits artésien, le plus abondant de tous ceux de Touraine, baignent les pieds du donjon, comme pour attester que la baguette d’or est la dernière baguette des fééries disparues : Le parc est d’une rare beauté, et l’Angleterre envierait ses pelouses entretenues à grands frais.
Villandry appartient depuis peu aux Hainguerlot, qui l’ont acquis des Bonaparte, acquéreurs eux-mêmes des Castellane. […]
Après la cérémonie, lunch de cent cinquante couverts dans la vaste salle à manger du château ; […], cocher, pour la gare prochaine, à destination de l’Italie, où les nouveaux époux reverront le soleil qui boude depuis trois mois ce que les poètes ont appelé « le Jardin de la France ».
(Le Gaulois : littéraire et politique, « Bloc-Notes Parisien », 17 janvier 1883)

Bibliographie